L’organisation auto-gérée : repenser les réunions au service de l’efficacité (4/4)

Qui n’a jamais participé à une réunion interminable de laquelle on ressort sans aucune décision ni avancée sur l’enjeu initial?

Le coût d’un meeting improductif est colossal : additionnez la valeur du temps de chaque personne autour de la table et le coût d’opportunité de ne pas être en train de faire quelque chose d’autre pour amener de la valeur ; multipliez le chiffre par le nombre de réunions improductives ou semi-productives dans l’année : l’addition risque d’être salée.

Alors comment mettre fin à ces enjeux? Comment maximiser l’utilité du temps passé en réunion?

Là encore, l’entreprise auto-gérée nous offre des pistes de solutions très intéressantes.

Il s’agit du dernier acte de cette première mini-série d’articles sur l’entreprise auto-gérée, consacré à la question de l’efficacité organisationnelle.

À des fins pratiques, nous garderons l’exemple du cadre de gestion de l’holacratie et nous regarderons de plus près la dynamique des réunions de triage.

La réunion de triage

En holacratie, les membres d’un même cercle se réunissent régulièrement pour ce que l’on appelle une réunion de triage. Tout comme la réunion de gouvernance (point abordé dans le 3ème article), la réunion de triage est orchestrée par le Facilitateur du cercle, lui-même élu par les autres membres du cercle.

Nous garderons l’exemple fictif du précédent article : simulons une réunion de triage du cercle Marketing d’une entreprise de logiciel.

Autour de la table se trouvent toutes les personnes ayant un rôle dans le cercle Marketing.

Après un premier tour de table, le processus de réunion peut débuter.

1. Revue de la check-list

On s’intéresse d’abord aux éléments figurant sur la check-list de chacun des rôles. Le but de cette étape n’est pas de rentrer dans de longs discours, mais seulement de donner de la visibilité sur ce qui a été fait ou non. Le Facilitateur s’adresse à chacun des rôles concernés par la check-list :

  • Facilitateur : « Benjamin, dans ton rôle de Rédacteur de contenu : l’article hebdomadaire est en ligne sur le blog : check ou no-check? »

  • Benjamin : « Check »

  • Facilitateur : « Toujours Benjamin, dans ton rôle de Veille de marché : les informations pertinentes sur la compétition sont dans le fichier prévu à cet effet : check ou no-check? »

  • Benjamin : « No-check »

  • Facilitateur : « Julie, dans ton rôle de Marketeur digital : l’infolettre mensuelle a été envoyée aux clients : check ou no-check? »

  • Julie : « Check »

  • Facilitateur : « Pas d’autre point dans la check-list, passons à la revue des indicateurs ».

2. Revue des indicateurs

Dans cette seconde étape, il s’agit de donner de la visibilité sur les indicateurs dont les rôles sont redevables, tels que définis au sein du cercle :

  • Facilitateur : « Julie, dans ton rôle de Marketeur digital, peux-tu nous donner de la visibilité sur le nombre de visites sur le site web au cours des 30 derniers jours? »

  • Julie : « Oui, on a eu 1400 visites, soit 2% de plus que le mois précédent »

  • Facilitateur : « Joe, dans ton rôle de Customer success, peux-tu nous renseigner sur le nombre d’appels clients pour des plaintes au cours des 30 derniers jours? »

  • Joe : « Oui on a eu 9 appels de plainte, soit 4 de plus que la moyenne mensuelle ».

  • Facilitateur : « Pas d’autre indicateur à l’agenda ; passons au suivi des projets »

3. Suivi des progrès réalisés sur les projets en cours

Cette troisième étape sert à faire l’état de l’avancement des projets. Par défaut, si rien n’a avancé sur un projet depuis la dernière rencontre, aucun statut n’est nécessaire. Le Facilitateur énumère tous les projets listés, le rôle qui porte le projet s’exprime sur son avancée. (NB : Les projets sont formulés de telle sorte que l’on puisse dire « Fait » lorsque le résultat est atteint.)

  • Facilitateur : « Benjamin (rôle Rédacteur de contenu), pour le projet Le calendrier de publication réseaux sociaux pour le deuxième trimestre est finalisé, as-tu des avancées à nous communiquer?

  • Benjamin : « Oui, j’ai bien avancé depuis le dernier meeting, le planning d’octobre et novembre est fini, j’attaque celui de décembre »

  • Facilitateur : « Julie (rôle Marketeur digital), y a-t-il du nouveau sur le projet La page Carrières du site web a fait peau neuve?

  • Julie : « Rien de nouveau depuis la dernière réunion »

Et ainsi de suite pour tous les projets associés à chaque rôle du cercle. En fonction de l’avancée décrite, le Secrétaire du cercle peut modifier le statut du projet dans le logiciel (Glassfrog ou Holaspirit selon les entreprises), sur le principe du modèle Kanban : En cours/En attente/Fini/Archivé.

D’après mon expérience avec l’Holacratie, ces 3 premiers blocs d’une réunion de triage — check-list, indicateurs et suivi des projets — occupent généralement 15 à 20 minutes. On passe ensuite au cœur de la réunion, qui se veut plus interactive.

4. Points de triage

À ce stade de la rencontre, le Facilitateur invite les membres du cercle à ajouter leurs tensions à l’agenda. Rappelons qu’en holacratie, le mot tension n’est pas connoté négativement : c’est simplement un écart entre ce qui est et ce qui pourrait être. Contrairement à la réunion de gouvernance dans laquelle les tensions concernaient des aspects structurels, les tensions soulevées dans une rencontre de triage concernent les aspects opérationnels du travail.

Toujours avec notre exemple fictif, imaginons que l’agenda bâti par les membres du cercle en temps réel ressemble à cela :

Points de triage :

  • Contenu publicité (Julie)

  • Idées blog (Benjamin)

  • Plaintes (Joe)

  • Infolettre (Julie)

  • Page Équipe (Julie)

Pour chacun des points à l’agenda, le Facilitateur donne la parole à celui qui a inscrit la tension. Cette personne peut alors interagir avec les rôles utiles à la résolution de sa tension. La discussion s’arrête lorsque le besoin de celui qui parle est comblé, et que les prochaines actions/projets sont pris en note, le cas échéant.

Passons à la mise en situation :

  • Facilitateur : « Julie, pour ton point Contenu publicité, quel est ton besoin? »

  • Julie : « Je parle dans mon rôle de Marketeur Digital et j’ai besoin de toi Benjamin dans ton rôle de Rédacteur de contenu. J’aimerais commencer à faire des publications sponsorisées sur Linkedin, et j’aurais besoin de texte pour alimenter ces publications. J’envisage d’en publier 4 au cours des 2 prochains mois.

  • Benjamin : « Ok je t’enverrai des propositions »

  • Julie : « Parfait merci, j’aimerais donc enregistrer une action pour Benjamin dans son rôle de Rédacteur de contenu : Envoyer des propositions de texte au rôle Marketeur digital pour les publications sponsorisées sur Linkedin »

  • Le Secrétaire prend note de ceci dans le logiciel.

  • Facilitateur : « Julie, ça couvre bien ton besoin? »

  • Julie : « Oui merci »

Notons que dans cet exemple de tension, Julie n’avait besoin de parler qu’à Benjamin et l’a bien spécifié. Le Facilitateur doit donc s’assurer que son espace de parole est respecté, et que les rôles non-sollicités n’interviennent pas. Par exemple, si Joe avait voulu intervenir pour donner son avis, le Facilitateur l’aurait gentiment invité à ajouter son point à l’agenda pour discuter de son besoin plus tard. Lorsqu’on a répondu au besoin d’une personne, on passe au point de triage suivant :

  • Facilitateur : « Passons à la tension suivante. Benjamin, pour le point Idées blog, quel est ton besoin? »

  • Benjamin : « Dans mon rôle de Rédacteur de contenu, je suis en panne d’inspiration pour du contenu innovant sur le blog. J’ai besoin de votre aide pour me donner de nouvelles idées. C’est une discussion ouverte à tous »

S’ensuit une discussion ouverte, telle que demandée par Benjamin. Le rôle du Facilitateur est alors de s’assurer que la discussion reste centrée sur le besoin de Benjamin et ne dévie pas sur autre chose. À tout moment, Benjamin peut mettre fin à la discussion en disant : « merci, cela répond à mon besoin, on peut passer au point suivant ». S’il est pris dans la discussion ou qu’il n’ose pas y mettre fin lui-même, c’est au Facilitateur de juger quand est-ce que c’est le bon moment pour demander :

  • Facilitateur : « Benjamin, as-tu suffisamment d’informations pour ton besoin initial? »

  • Benjamin : « Oui c’est bon »

  • Facilitateur : « Parfait, alors on passe au point suivant. Joe, pour ton point Plaintes, quel est ton besoin? »

  • Joe : « Dans mon rôle de Customer success, je souhaite simplement vous donner de l’information sur les plaintes additionnelles que nous avons reçues ce mois-ci : elles sont liées à un bug dans le logiciel qui a été résolu dans l’heure, et cela n’a pas affecté la relation client. Voilà c’est tout, ça couvre mon besoin »

Ici, Joe précise clairement que son intention n’est pas de générer une discussion ; simplement de donner de l’information. Si un autre rôle souhaite rebondir, le Facilitateur l’arrête pour l’inviter à mettre son point à l’agenda. Le besoin de Joe est couvert, c’est tout ce qui importe pour passer au point suivant.

De la même façon, le Facilitateur navigue à travers chaque point de triage. Le but est de tous les couvrir dans le temps imparti. Le Facilitateur ajuste le temps alloué à chaque point pour pouvoir terminer la réunion dans les temps.

Avantages

Droit au but : Puisque la règle stipule que la discussion ne peut pas aller de l’avant tant que le besoin de celui qui parle n’est pas comblé, cela force les membres du cercle à formuler des demandes claires, et à prendre des décisions rapidement.

Efficacité : Ce processus est d’une efficacité redoutable lorsqu’il est bien maitrisé. Dans mon expérience avec l’Holacracy, il m’est arrivé de faciliter des rencontres pendant lesquelles nous avons traité jusqu’à 22 points de triage en 45 minutes.

Télétravail : Dernier avantage et non des moindres par les temps qui courent : cette dynamique de réunion est extrêmement performante en télétravail. En effet, chacun sait quand il peut parler ou non, ce qui facilite considérablement les réunions — notamment celles de plus de 4 personnes qui peuvent vite devenir cacophoniques dans un mode de réunion plus traditionnel. De plus, l’utilisation d’un outil tel qu’Holaspirit permet de capturer l’information en direct, pour une réunion plus interactive. Les participants peuvent se connecter au logiciel et ajouter eux-mêmes leurs tensions à l’agenda. Tous les projets, check-list et indicateurs sont documentés dans l’outil et accessibles en un clic.

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Ici s’achève cette première petite série d’articles sur l’organisation auto-gérée. Cela a-t-il piqué votre curiosité? Pensez-vous que votre organisation a le potentiel de se transformer pour devenir auto-gérée? Si vous souhaitez me faire part de vos interrogations ou si vous avez besoin de conseils, n’hésitez pas à me contacter en commentaire ou via LinkedIn.

Pour consulter les articles précédents de la série :

Qu’est-ce qu’une entreprise auto-gérée? (1/3)
La structure d’une entreprise auto-gérée (2/3)
Le processus de gouvernance d’une organisation auto-gérée (3/3)


À propos de IDEHŌ

Basée à Montréal, IDEHŌ se donne pour mission de créer des entreprises libérées, innovantes et humaines. IDEHŌ offre du conseil en management et transformation organisationnelle. www.ideho.ca

Autheur : Anne Chabert

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